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Le Judaisme

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Le Judaisme Empty Le Judaisme

Message par Esculape Mar 5 Avr 2011 - 10:53

Par
Jean Rochette, M.A.
Sciences de la religion
jean.rochette@hotmail.com
Plan de l'ensemble.

Histoire
1. Les origines
2. Deuxième période ( durée: 7 siècles)
3. Le premier retour (la Restauration).
4. La seconde Diaspora
5. Le premier millénaire
5.1 Dans le christianisme
5.2 Aux côtés de l’Islam
6. Le deuxième millénaire.
7. Les 18e et 19e siècles.
8. Le vingtième siècle.
9. Le deuxième retour.
10. Répartition des juifs dans le monde aujourd’hui.
Les doctrines
1. Les livres sacrés
1.1 La Bible
1.2 Le Talmud
1.3 La Cabale (Kabbale)
2. Contenu doctrinal du Judaïsme
3. Les groupes différents
Les pratiques
1 Organisation hiérarchique.
2 Pratiques de culte
2.1 Pratiques collectives.
2.2 Pratiques plus individuelles
3 Pratiques morales
4 Le Judaïsme aujourd’hui
Conclusion
Bibliographie
Liens utiles
Histoire

1. Les origines

Retracer l’histoire du judaïsme de l’Antiquité, c’est entrer dans un domaine familier que la plupart d’entre nous qui ont suivi une instruction religieuse ont connu. C’est aussi faire un saut dans l’inconnu puisque, pour le judaïsme, les événements n’ont pas toujours eu la même signification que pour les chrétiens.

Quoi qu’il en soit, nous sommes maintenant entre le 18e et le 20e siècle avant Jésus-Christ. A cette époque, un Empire important existe au Moyen-Orient, du Liban actuel jusqu’au Golfe persique: c’est l’Empire de Sumer.

Dans cet empire, originaire de Haran au nord-ouest de la Mésopotamie, vit à Ur un nommé Terah et toute sa famille. Terah est un homme de son temps, polythéiste comme il se doit, adorant sans doute Sin, le dieu lunaire d’Ur et de Haran. Ur à cette époque est une ville prospère et confortable. C’est d’ailleurs sans doute ce qui y a attiré Terah, lui-même sans doute éleveur. Mais cette prospérité ne dure pas longtemps puisque les Élamites, originaires des montagnes du Golfe Persique, attaquent et anéantissent cette ville en -1960.

Les murs de la ville furent rasés, ses édifices réduits en cendres, et ses portes elles-mêmes furent comblées avec les corps des tués. Forts et faibles périrent de famine ou furent surpris par le feu dans leurs maisons; quant à ceux qui trouvèrent le moyen de survivre, ils s’éparpillèrent en tous sens. Les familles furent disloquées. Les parents abandonnèrent leurs enfants et les maris leurs femmes. (Epstein p.7)

Ce ne fut cependant pas le cas de Terah qui réussit à s’enfuir et à regagner Haran où, malheureusement, il mourut. Il semble que son intention ait été de se réfugier dans les collines de Canaan mais ce fut son fils aîné qui hérita de lui: il s’appelait Abram, et accomplira ce que son père avait prévu. Avec quelques différences, cependant.

Selon Epstein, Abram était déjà à cette époque monothéiste. Mais ce n’était pas un monothéisme comme il en existait déjà. En effet à l’opposé des divinités d’autres religions, comme, par exemple, Anu, grand dieu de Sumer, et Shemesh, dieu universel de Babylone, le Dieu d’Abram n’était pas un dieu de la nature, dieu du ciel ou du soleil; ce n’était pas non plus un dieu local, limité à une ville ou à un pays. Créateur du ciel et de la terre et de tout ce qui s’y trouve, le Dieu d’Abram était indépendant de la nature et de toute les limitations géographiques. En outre, contrairement aux autres divinités, le Dieu d’Abram était essentiellement un Dieu moral pour qui la droiture et la pratique de la justice étaient choses primordiales. (Epstein, p.Cool

Cette conception de Dieu allait bouleverser le reste de l’histoire humaine. Comment Abram en eut-il l’intuition? La Bible parle d’une révélation, plusieurs auteurs de l’histoire juive ne la mettent pas en doute (Benaïm Ouaknine, Chouraqui, Szlakmann etc.). Epstein va un peu plus loin:

Nous ignorons comment Abram parvint à cette conception de Dieu, conception que l’on a justement appelée un "monothéisme éthique", pour la distinguer de toutes les autres formes de monothéisme. Peut-être fut-ce l’aboutissement d’un raisonnement spéculatif, comme ce fut le cas pour d’autres monothéistes, et il se peut que sa noblesse d’âme innée, dont le récit biblique nous est une preuve, l’ait conduit à attribuer à la Divinité qu’il adorait les mêmes qualités morales auxquelles, dans sa propre vie, il tentait d’être fidèle. A moins que, peut-être, sa foi religieuse lui ait été donnée d’un coup, par le moyen de quelque illumination intérieure, par une expérience mystique, une révélation. Quoi qu’il en soit, le jour où il échappa à la ruine d’Ur fut manifestement un tournant dans son évolution spirituelle. Sensible au divin, il comprit que sa délivrance avait été providentielle, et bientôt il possédait la conviction qu’il avait été préservé en vue de fonder une nouvelle nation, une nation qui apporterait au monde la connaissance de Dieu, et à toutes les familles de la terre les bénédictions qui en découlent. (Epstein, pp.8-9)

Deux buts guidaient Abram lorsqu’il reprit la route de Canaan. D’une part, il voyait sans doute la solitude des collines de Canaan comme propices au développement de son intériorité en même temps que proche des routes importantes permettant de faire connaître sa foi à d’autres civilisations et d’autres peuples.

Déjà, à ce stade, on peut parler d’Alliance entre Dieu et Abram, une Alliance qui sera la clé de compréhension de tout le judaïsme et aussi de tout le christianisme. Déjà, Abram avait eu l’intuition de Dieu ainsi que celle de partir d’Haran. Parvenu à Sichem, une révélation confirmera cette Alliance et Abram continuera sa route jusqu’au Néguev. Tout le long du chemin, il fit des adeptes. C’était, véritablement, quelque chose de révolutionnaire car l’idée de convertir des gens de leur "méchanceté" à la foi en Dieu et à une vie droite était parfaitement inconnue avant Abram. (Epstein, p.9)

Arrivés en Canaan, ils reçurent le nom d’hébreux, nom provenant sans doute du cunéiforme habiru qui signifie émigrants, nomades. Avec le temps, ils s’installèrent et c’est ainsi que "les Hébreux, à l’origine une tribu nomade d’agriculteurs et d’éleveurs," vivant "en Mésopotamie aux environs du XVIIIe siècle avant Jésus-Christ" (Ouaknine, p. 9), implantèrent au Moyen-Orient une religion originale dont personne avant eux n’avaient eu l’intuition.

Abraham eut deux fils. Le premier avec Hagar, sa servante égyptienne, eut pour nom Ismaël. Le deuxième, celui qui devait hériter, naquit de son épouse Sarah et eut pour nom Isaac. Plusieurs ont vu dans ces naissances un conflit d’héritage (Szlakmann), la descendance d’Ismaël étant traditionnellement identifiée aux musulmans.

Quoi qu’il en soit, Isaac eut à son tour deux fils: Esaü d’abord et Jacob ensuite. Lors d’une famine, Esaü vendit son droit d’aînesse à Jacob qui devint celui qui devait hériter. Ici encore, certains ont vu un conflit d’héritage, présentant la descendance d’Esaü comme les chrétiens. Toujours est-il que Jacob eut quant à lui douze fils. Jacob fut renommé Israël et ses douze fils furent les ancêtres des douze tribus d’Israël.

Une famine poussa les Hébreux en Égypte où, grâce à un des plus jeunes fils d’Isaac, Joseph, ils purent vivre en paix. En effet, à cette époque, c’étaient les Hyksos qui régnaient sur l’Égypte. Or les Hyksos étaient des sémites et à ce titre, se reconnaissaient des affinités avec les Hébreux. Joseph put donc faire une carrière à la cour égyptienne et les Hébreux purent vivre en paix en Égypte. C’est à ce moment-là que les douze tribus se multiplient et deviennent une ethnie. (Benaïm Ouaknine, p.9)

Pourtant, vers -1580, Ahmosé réussit à expulser les Hyksos d’Égypte. A ce moment-là, un long calvaire va commencer pour les Hébreux, mal vus à cause de cette même parenté avec les Hyksos. Graduellement, le peuple entier sera réduit en esclavage par les égyptiens. Cet esclavage ira toujours en empirant.

Durant ce temps d’esclavage, les Hébreux conserveront ce qui les caractérisent. Le monothéisme d’abord, puis le respect de la tradition et des patriarches, leurs noms et leur langue. Cela leur donne "le sentiment d’être un peuple distinct, c’est-à-dire ayant une identité différente de celle des égyptiens." (Benaïm Ouaknine p.10)

Thouthmosis III conquiert et annexe les territoires du Moyen-Orient jusqu’à l’Euphrate. Cependant, à sa mort, les états sémites se révoltent et tentent de recouvrer leur liberté. Cela a pour conséquence que son successeur, Aménophis II, par vengeance mais aussi par peur, usera de représailles auprès des Hébreux et la situation deviendra si intolérable que, vers -1450, il semble bien que les Hébreux seront exterminés.

Suite à un édit du Pharaon ordonnant de tuer tous les premiers nés mâles des Hébreux, une femme cache son fils qui est recueilli par une princesse égyptienne. C’est Moïse. Élevé à la cour égyptienne, il prend graduellement parti pour les Hébreux contre les égyptiens et doit s’enfuir vers Madian où il se mariera et entreprendra une vie de berger. Cependant, une révélation va transformer la vie de Moïse. La voix de Dieu, venant d’un buisson en flammes ne se consummant pas, lui ordonna de retourner en Égypte afin de libérer les Hébreux et les emmener en Terre Promise. Sur la demande de Moïse, Dieu se nomme: YHWH, que l’on peut traduire par Je suis ce que je suis ou encore Il est ce qu’Il est: "cela implique l’idée que Dieu est Celui qui est partout présent auprès de Son peuple, avec les enfants comme avec les pères, tout au long de leur histoire, passé, présent et avenir." (Epstein, p.12)

Moïse partit donc et le peuple le reconnut comme l’envoyé du Dieu d’Abraham et de l’Alliance. Sous l’effet de 10 fléaux successifs (les dix plaies d’Égypte), Aménophis II finit par laisser partir les Hébreux qui, sous la conduite de Moïse, traversèrent la mer Rouge où les égyptiens qui les poursuivaient se noyèrent. Les hébreux aboutirent au mont Sinaï.

Cette suite d’événements extraordinaires eut sur la vie spirituelle du peuple un effet extrême. Elle les rendit particulièrement sensibles aux choses divines et leur inspira une foi plus forte que jamais dans le Dieu de leurs pères, qui s’était interposé pour les délivrer de la maison de servitude et de la main de leurs ennemis... C’est dans cet état d’exaltation spirituelle que le peuple suivit Moïse dans le désert du Sinaï, où ils devaient apprendre à quelles fins ils avaient été délivrés, et quel destin les attendait. (Epstein, pp.12-13)

Au mont Sinaï, Moïse reçoit des mains de Dieu les dix commandements. En les recevant, il accepte, au nom du peuple, de conclure une nouvelle Alliance avec Dieu, une Alliance décisive.

L’idée d’alliance est fondamentale dans le mosaïsme: l’alliance permet la rencontre de l’éternel incréé et de la créature... Moïse, au Sinaï, conclut le pacte qui unit Israël à son Dieu par le sacrifice: son signe est le Sabbat, le jour de la plénitude de la création parfaite, sa loi celle que Dieu révèle sur le Sinaï. Un peuple est ainsi élu, pour en promouvoir l’ordre dans l’univers. (Chouraqui, p.13)

Dans la révélation du Sinaï, Dieu se révèle comme "le Dieu de l’histoire, intervenant sans cesse dans sa création" (Szlakmann, p.10), et sa Parole, la Torah et les dix commandements, est un ordre universel, bon pour tous les humains de toutes les époques. Le peuple élu doit, quant à lui, jouer le rôle de prêtre et annoncer au monde cet ordre voulu par Dieu: "Vous serez pour moi un royaume de prêtres et une nation sainte." (Ex 19,6). Ainsi donc, dès le départ, le judaïsme aura une vocation sacerdotale (prêtres) et universelle qui le caractérisera tout au long de son histoire.

L’Alliance est un véritable mariage entre Dieu et l’être humain, mariage indissoluble qui prévaut pour chaque être humain et dont Israël doit être le témoin privilégié. Ce mariage comprend un cadeau de noces, la Terre sainte, que le peuple élu n’oubliera jamais, et un engagement, celui de Dieu à continuer d’agir dans l’histoire et celui du Peuple d’obéir à la Torah et de la mettre en pratique. Car la loi de Dieu est d’abord et avant tout une loi morale qui fait du judaïsme, comme nous l’avons dit plus haut, un monothéisme éthique.

2. Deuxième période ( durée: 7 siècles)

Moïse conduira le peuple à travers le désert durant 40 ans, mais c’est à Josué que reviendra la tâche d’installer le peuple en terre de Canaan. Cette installation sera marquée par une conquête mémorable inscrite avec beaucoup de détails dans la Bible.

Après et pendant la conquête, toute une première partie de l’histoire du peuple élu sera dirigée par des Juges dont les rôles seront à la fois d’être des leaders politiques en même temps que prophétiques et théologiques. C’est aussi à eux qu’incombera l’application de la loi. Les plus célèbres seront Déborah, Gédéon, Samson et Samuel (Benaïm Ouaknine, p.11).

Au cours des conquêtes et des premières années de vie en terre de Canaan, Israël a été en contact avec beaucoup d’autres peuples, religions et coutumes. Ces contacts ont mis en péril l’unité nationale (Chouraqui p. 14) et le mélange des coutumes et des peuples a dissous quelque peu l’originalité d’Israël.

Lorsque Samuel, à la demande du peuple, puis de Dieu, consacre le premier roi d’Israël, Saül, l’unité nationale se restaure et le sentiment d’appartenance redevient fort.

Cette période de l’histoire marquée par les rois conduira Israël à des sommets politiques et temporels jamais atteints. Après Saül, David à qui l’on attribue les Psaumes, sera un grand roi. Son fils Salomon fera construire le Temple et conduira "Israël à l’apogée de sa puissance" (Chouraqui, p.15)

Malheureusement, à la mort de Salomon, le royaume sera divisé en deux, opposant les deux royaumes dans des rivalités et des guerres fratricides. Le premier royaume, celui de Juda, aura pour capitale Jérusalem et pour rois les descendants de David. Le deuxième, celui d’Israël, aura pour capitale Samarie et aura pour rois des petits rois de dynasties diverses. Ces deux royaumes abandonneront peu à peu les enseignements de la Torah, pratiquant l’idolâtrie et sombrant dans la corruption. (Szlakmann, p.11)

À partir de ce moment, Dieu ne passe plus vraiment par les rois pour instruire et conduire son peuple mais par les prophètes. Le prophétisme, en effet, se développe à cette époque d’une façon tout à fait naturelle.

Le prophète est un homme inspiré directement par Dieu et dont le rôle est de juger les événements, de prévoir les châtiments et d’annoncer "l’éternel triomphe de la lumière sur les ténèbres." (Chouraqui, p. 15) Pour cela, il interprète les événements à la lumière de la révélation de Dieu et discerne la volonté de Dieu en confrontant les exigences de la Torah à la réalité historique. C’est ainsi que le prophète va faire évoluer le peuple en intégrant désormais à la théologie judaïque un messianisme nouveau qu’on n’avait jamais rencontré auparavant.

Le Prophétisme conçoit désormais l’histoire universelle comme une marche des ténèbres vers la lumière, de l’iniquité vers l’amoureuse justice de Dieu, connu, reçu, aimé, obéi dans la transcendance de son règne. Quelles que soient les profondeurs de la chute, le triomphe et le règne du Messie sont attestés dans les certitudes de la vision: un reste annoncera son règne. (Chouraqui, p.16)

C’est sans doute aussi de cette époque qu’origine le mot que nous connaissons aujourd’hui pour définir le peuple d’Israël. En effet,

Jusqu’alors, les Juifs se désignent eux-mêmes du nom d’Israël, aussi bien dans le domaine de la liturgie que de la littérature: peuple d’Israël, fils d’Israël. Mais le peuple d’Israël ne correspondant plus qu’au royaume de Juda est appelé "habitants de la Judée" ou Judéens, mot qui a donné le terme que tout le monde connaît aujourd’hui: Juifs. (Benaïm Ouaknine, p. 12)

En -722, la conquête assyrienne fait disparaître le royaume d’Israël. Celui de Juda lui survivra quelques temps, mais en -586, le royaume de Juda est rasé par les babyloniens, le Temple est détruit et la plus grande partie du peuple est déporté à Babylone. C’est la première dispersion des juifs hors de leur terre, la première diaspora.

3. Le premier retour (la Restauration).

Après un certain temps, l’Empire babylonien tombe sous la domination perse et Cyrus permet aux juifs de retourner chez eux. C’est la restauration du royaume de Juda dans une vie relativement autonome sous la tutelle Perse. On procède à la reconstruction du temple (de -538 à -515). Graduellement, le prophétisme disparaîtra, faisant place à un rôle qui deviendra prépondérant: celui des scribes (les sopherim) et des écrivains apocalyptiques. Sauf durant une petite période, les juifs ne connaîtront plus l’autonomie totale. Après la domination perse, ce sera la domination grecque. En -168, sous la conduite de Juda Maccabée, la nation redevient indépendante, mais en -63 retombe sous la domination romaine jusqu’à sa fin vers +70.

Toute cette période est marquée par des rivalités théologiques, et dans cette atmosphère on peut discerner deux grands partis qui s’affrontent: Les Sadducéens et les Pharisiens. Parallèlement aux grandes discussions des deux principaux partis naît aussi un monachisme juif: les Esséniens.

Les Sadducéens sont les représentants des grands et des prêtres. Ils ne sont que peu populaires parmi le peuple. Ils croient en la suprématie de la nation élue dans le monde, sont d’une extrême sévérité en matière de morale et d’application de la loi car ils prônent une fidélité totale et rigoureuse à la lettre de la Torah. Les Sadducéens refusent aussi des idées nouvelles comme celle de la survie de l’âme et de la résurrection des corps.

Du mot hébreu perushim, les séparés, les Pharisiens sont très mal connus dans le christianisme et, selon Chouraqui, bien sévèrement jugés:

les jugements péjoratifs que l’on porte souvent sur le compte des Pharisiens sont injustes, sinon grossiers, et ne tiennent aucun compte du rôle déterminant qu’ils remplirent dans la vie religieuse du judaïsme et, on peut bien le dire, de l’humanité. (Chouraqui, p.19)

Toujours selon Chouraqui, les Pharisiens sont en fait responsables de la structuration du judaïsme tel qu’on l’a connu pendant des siècles. Ce sont eux qui ont défini les principaux concepts comme la justice de Dieu, la liberté de l’homme, l’immortalité personnelle, le jugement après la mort, le paradis, le purgatoire, l’enfer, la résurrection des morts, le règne de gloire etc. Ce sont eux qui donneront le rôle essentiel d’enseignants et de commentateurs de la Torah aux Rabbins et qui développèrent les Synagogues comme lieu privilégié d’enseignement de cette Torah.

Mais chez les pharisiens, l’entente non plus n’existait pas. On note généralement deux écoles très divergentes: l’école de Hillel l’Ancien et celle de Shamaï. L’école de Hillel était plus conciliante et tolérante, mettant l’accent sur l’amour du prochain dans son interprétation de la Torah. L’école de Shamaï était plutôt intransigeante, insistant surtout sur l’observance aveugle de la lettre de la Torah.

On conte qu’un jour un homme, un païen, qui songeait à se convertir, demanda à Hillel quel était le commandement essentiel de la Thora (sic), et il reçut cette réponse: "Ne fais pas à autrui ce que tu ne veux pas pour toi-même." Parole tout évangélique - c’est celle que donnent Mt 7, 12 et Lc 6,31, et qu’on nomme la règle d’or - et qui a fait dire qu’Hillel était le vrai maître de Jésus. Il n’admettait le divorce, c’est-à-dire la répudiation de la femme, que si elle tombait dans l’adultère, tandis que Schammaï (sic) consentait à ce qu’un mari pût chasser son épouse si elle avait seulement gâté le dîner. (Gugnebert, pp. 87-88) Les Esséniens se développèrent une centaine d’années avant l’ère chrétienne. Des hommes et des femmes se regroupèrent pour vivre en communauté un idéal de vie religieuse dans le silence, la prière, la pauvreté, l’obéissance et la pureté. On estime leur nombre à environ 4000 (Chouraqui p.20) et leur influence a été marquante, non pas du point de vue juif mais par l’héritage laissé aux chrétiens. Beaucoup, en effet, font un lien entre ce monachisme et celui des chrétiens.

Les romains laissent généralement les juifs s’administrer eux-mêmes mais sont polythéistes et pour les juifs, l’entrée d’idoles sur le territoire sacré (la Terre sainte) est certainement inadmissible. De plus, écrasés par les impôts qu’ils arrivent difficilement à payer, les juifs ne sont pas contents. A côté du pharisaïsme et souvent avec lui se développe un "parti" prônant la lutte armée, les Zélotes, et la résistance s’organise lentement. C’est dans cette atmosphère que naîtra Jésus, le Nazaréen, autour de l’an -7.

4. La seconde Diaspora

En +66 éclate la première guerre entre juifs et romains. En 70, Jérusalem tombe et le Temple est détruit. En 73, Massada, la dernière forteresse, tombe aux mains de l’ennemi. Beaucoup de juifs seront alors dispersés à travers le monde, plusieurs resteront aux alentours, mais plus aucun n’a désormais de pays.

Le peuple tout entier était ainsi placé dans la situation du Messie souffrant des prédications rabbiniques, de l’Homme des Douleurs de la vision d’Isaïe ou des psaumes. (Chouraqui, p.24)

Cette nouvelle diaspora fut déterminante pour le développement de la pensée juive. Des petites communautés se formèrent un peu partout autour du bassin méditerranéen et l’école, donc la Synagogue prit de plus en plus d’importance.

Après une telle défaite, il ne reste plus aux Juifs que l’école pour remplacer le Temple. C’est donc l’étude de la Loi qui devient le ciment du peuple juif. Les chefs d’Israël seront des princes de l’esprit, les nassi, dont l’autorité sera reconnue aussi par les Romains. (Benaïm Ouaknine, p.14)

À partir de là, le mot d’ordre sera de sauver le patrimoine spirituel et de réaliser l’unité interne. Les Sadducéens, Zélotes et Esséniens disparaissent et les Pharisiens prennent le contrôle spirituel des synagogues. Autour du nassi (le patriarche) et du Sanhédrin, la pensée juive se développe à Jérusalem. Un autre grand centre se développe aussi à Babylone en Mésopotamie.

Entre 135 et 200, Judah le Saint achèvera ce qui est commencé depuis longtemps. En effet, on admet couramment qu’à côté de la Torah, la Loi écrite, existe une tradition orale, une Torah orale transmise de génération en génération depuis Moïse. Ces commentaires oraux sont le Midrash (signifiant étudier les textes pour en tirer des enseignements) halakha (enseignement législatif, de Halah’a = marcher) et le Midrash haggada (enseignement narratif et moral).

Le rôle de la Torah orale est de permettre l’application de la Torah écrite dans les situations concrètes de la vie. Szlakman en donne un bon exemple (p.57):

Torah écrite = Le Chabbath "tu n’y feras aucun labeur". Qu’est-ce qu’un "labeur"? La Torah orale nous énumère 39 travaux interdits le Chabbath.

Pour ne pas figer cet enseignement, il était interdit de le mettre par écrit. Pourtant, vers 135-200, il devient impératif de sauvegarder ce précieux enseignement pour les générations à venir. On met donc la loi orale par écrit. C’est Judah (Yehoudah) le Saint, un rabbin (rabbi) de l’époque qui le fait. L’ouvrage terminé prendra le nom de Mishna et sera divisé en six ordres (les semences, les saisons, les femmes, les dommages, les choses sacrées et les choses pures). Le (ou la) Mishna deviendra le fondement de tout l’enseignement juif et suscitera lui-même de nombreux commentaires qui seront regroupés sous le nom de Guemara. Autant à Jérusalem qu’à Babylone, on procède à la compilation de ces textes et commentaires. Vers le 4e siècle, le Mishna et le Guémara sont regroupés sous le nom de Talmud: d’une part le Talmud de Jérusalem qui ne sera pas très populaire et le Talmud de Babylone qui sera huit fois plus répandu que le premier.

5. Le premier millénaire

Avec la conversion de Constantin au 4e siècle, les chrétiens voient leur foi triompher dans tout l’Empire. Mais en même temps que les rabbi de l’époque coupent les ponts avec le monde extérieur pour garder la foi pure se développe dans le christianisme un antisémitisme grandissant.

Peu de textes parlent de cette époque. De tous les volumes consultés, seul Chouraqui aborde franchement la question, les autres préférant se centrer sur la rédaction et le contenu du Talmud. Il est vrai qu’on ne peut couper au couteau ce qui date des années 300 et des années 1000 ou même 1200. Historiquement, disons que les juifs auront à vivre au cours des siècles qui suivirent dans des contrées marquées soit par le christianisme (Empire romain d’abord puis Europe du Nord) soit par l’Islam qui conquiert presque l’ensemble du Moyen-Orient dès 732.

5.1 Dans le christianisme

C’est, nous l’avons dit, Chouraqui qui aborde le plus franchement la question de la relation juifs-chrétiens. Citons pour commencer son texte éloquent:

L’Église naissante avait tout reçu d’Israël: les Écritures, les Patriarches, les Alliances, la Loi, le Culte, les Prophètes, la Vierge, le Christ, les Apôtres, la Chrétienté primitive enfin; il n’est pas jusqu’au monachisme chrétien dont on ne puisse trouver les antécédents dans le monachisme juif des Esséniens, mieux connu depuis la découverte des Manuscrits de la mer Morte. Et elle le savait si bien qu’elle se proclama l’héritière de la Synagogue, le Nouvel Israël. On hérite d’un mort: or, si Israël semblait bien devoir expirer après sa guerre contre Rome, le destin contraire prévalut; ayant sauvé les vestiges de son authenticité spirituelle, ses Écritures, ses traditions, ses croyances, il refusa sa défaite et s’installa en marge de l’Histoire dans l’attente de la réparation promise; la Synagogue de l’Exil était constituée de telle sorte qu’elle pouvait affronter toutes les tempêtes de l’Histoire, et sans plier, attendre l’heure de l’épanchement de la paix, où ses yeux pourraient s’ouvrir enfin pour contempler la gloire du Messie triomphant.

La situation était grosse d’un conflit inexorable qui engageait en fait les fins dernières de l’humanité: la paix entre la Synagogue, annonciatrice du Verbe révélé et du Messie de Gloire, et L’Église, issue de son sein, adoratrice du Verbe incarné et du Messie crucifié, signifierait un jour la fin de la contradiction parmi les hommes, l’ultime triomphe de l’unité d’amour qu’elles annonçaient et servaient toutes deux, selon leur vocation propre.

Et la guerre fut sanglante. La chute de Jérusalem marque l’arrêt du mouvement d’expansion du judaïsme et de ses missions extérieures; toutes les forces n’étaient pas de trop pour assurer l’oeuvre du sauvetage des reliques. Bientôt, par surcroît, les Juifs vaincus durent subir l’assaut du prosélytisme chrétien désormais triomphant et maître de l’Empire depuis la conversion de Constantin. Privé de tous moyens de défense, Israël se réfugia dans la toute-puissante passivité de la prière. Cette résistance--la seule qu’ils ne purent jamais vaincre en Europe--était bien faite pour irriter, parfois jusqu’à la furie, les propagateurs ou les fidèles de la foi nouvelle. Et la Croix devint crucifiante pour ceux qui attendaient le Messie de Gloire...

Il apparut essentiel à la Chrétienté de ruiner en terre de mission la puissance et le prestige du Juif (saint Jean Chrysostome) et de s’en servir en le gardant en tant que témoin avili de la Passion du Christ (saint Augustin), dont le peuple déicide était accusé de porter la responsabilité. L’enseignement du mépris se renforça d’une législation qui organisait contre le Juif un impitoyable système d’avilissement (Jules Isaac): sanctions rigoureuses contre le prosélytisme juif, contre les mariages mixtes, interdictions de bâtir, de réparer ou de restaurer les synagogues, exclusion absolue de toutes les fonctions publiques, interdiction de posséder des esclaves chrétiens (ce qui entraînait le corollaire d’une exclusion pratique de l’agriculture et de l’industrie qui exigeaient l’emploi d’une main-d’oeuvre servile), interdiction de commercer avec les Chrétiens, etc. Des pontifes, des monarques, des princes s’efforceront bien d’humaniser ces lois, aux périodes de crises, elles seront impitoyablement appliquées et donneront aux masses des réflexes meurtriers dont notre génération sait que l’habitude ne s’est pas perdue partout. Aussi l’histoire des Juifs en Europe a-t-elle pu s’écrire comme une suite accablante d’expulsions, d’exactions, de pillages, de viols, de meurtres, de massacres: on constate, surtout pendant le IIe millénaire de l’Exil le même procès historique: les Juifs sont largement accueillis par les nations lorsqu’elles sont en voie de formation; ils sont tolérés par la suite sans qu’aucun droit ne leur soit formellement garanti, et toujours persécutés, voire définitivement éliminés, en temps de crise. Les pires procédés dont furent victimes les Juifs font une timide apparition pendant le IIe millénaire de l’Exil, qui dans l’ensemble fut paisible (signalons toutefois l’expulsion des Juifs d’Espagne par Sisebut en 613, et celle des Juifs de France par Dagobert en 629). (Chouraqui, pp 72-74)

Dans ce texte, Chouraqui laisse entendre que les chrétiens persécutèrent les juifs de façon continue. Il faut dire ici que la coupure avec le judaïsme, commencée avec l’apôtre Paul, devait atteindre son apogée au moment des persécutions d’Hadrien contre les juifs et les chrétiens.

Epstein voit d’ailleurs dans cette coupure une certaine lâcheté:

Les Judéo-chrétiens, eux, furent incapables d’accepter l’idée d’une nation séparée de son territoire. Pour eux, la fin de l’État juif fut la perte des fondements sur lesquels était construite la vie spirituelle et culturelle juive. Cela ouvrait la porte à une séparation complète d’avec leur peuple, séparation que les tragiques événements ne firent que hâter. Afin d’échapper à la proscription générale de la Torah par Hadrien et d’acquérir quelques avantages temporels, les Judéo-chrétiens n’hésitèrent pas à abandonner toutes les pratiques religieuses qu’ils avaient observées pendant un siècle environ, et se coupant de leur propre peuple, finirent par rejoindre la masse des païens qui, sous l’influence de Paul, avaient entre temps été attirés au christianisme. (Epstein, p.112)

Quoi qu’il en soit de cette période pré-chrétienne où il est tout de même certain que les chrétiens furent persécutés eux aussi, il reste qu’au moment de la conversion de Constantin, l’Église développa vraiment un antisémitisme parfois agressif mais avait beaucoup à faire avec ses propres hérésies. Ce n’est que vers le 7e siècle mais surtout au début du deuxième millénaire que les juifs commencèrent à ressentir les persécutions des chrétiens. Pour notre propos, nous ne retiendrons ici que la grande persécution qui eut lieu vers 618, alors que le roi Sisebut força 90 000 Juifs à devenir chrétiens.

5.2 Aux côtés de l’Islam

Dès le 7e siècle, les conquêtes arabes font du Moyen-Orient un univers musulman. En terre d’Islam, le sort des juifs sera moins pire qu’en occident. Plus méprisé que haï, le juif est toléré par les musulmans comme un des peuples du Livre (la Bible) et, s’il ne peut plus travailler la terre comme autrefois, peut tout de même s’établir comme artisan ou commerçant. Il est déclaré par les musulmans "dhimmi" (protégé) et doit vivre dans des quartiers et porter un costume spécial.

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